Togo : Une crise sociale sous un mandat social

Article : Togo : Une crise sociale sous un mandat social
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1 février 2018

Togo : Une crise sociale sous un mandat social

Depuis le 19 août 2017, la vie des togolais évolue au rythme d’une crise profonde qui peine à trouver un dénouement. Ils sont des milliers à descendre dans les rues à travers tout le pays. Ça jase sur les réseaux sociaux. Facebook, Twitter, Whatsapp, tous les moyens sont bons pour y arriver. Deux grands objectifs se dégagent pour les protagonistes en jeu. D’un côté, finir avec le pouvoir en place (du RPT à l’UNIR) depuis 51 ans, en exigeant un retour à la constitution originelle de 1992 votée à plus de 97% limitant le nombre de mandats présidentiels à deux. De l’autre, se maintenir au pouvoir en brandissant les textes et lois constitutionnels et institutionnels qui arrangent, ceci pour aller à un référendum synonyme de remise du compteur à zéro pour l’actuel président.

La crise politique est profonde, constatent plusieurs analystes. Crise politique ?? Et si on se trompait ? N’est-ce pas plutôt une crise sociale sous un mandat social du président actuel ? J’y vais de mes analyses.

 

L’appel à manifestation du Parti National Panafricain (PNP), la goutte d’eau qui a fait déborder le vase

Si beaucoup s’accordent à qualifier la présente crise de politique, c’est parce qu’elle fait suite à la marche organisée par le « nouveau » leader de la scène politique : Tikpi Salifou ATCHADAM. À cet appel, les togolais se retrouvent très mobilisés, eux qui se montraient pourtant las des appels à manifestation des poids lourds de l’opposition. Cette mobilisation devient toujours plus gigantesque après la mise en place « express » d’une coalition regroupant 14 partis politiques. Mais est-ce une raison suffisante pour qualifier cette crise de politique ? Non !

 

Une population très remontée, en perte de confiance et de repères

Arrivé au pouvoir en 2005 à la faveur d’un forcing maquillé à la suite du décès de son père Eyadema GNASSINGBE après 38 ans au pouvoir, Faure E. GNASSINGBE se réclamait candidat de la jeunesse. L’homme, 39 ans à l’époque, a profité d’un coup d’état militaire suivi d’une élection controversée pour proposer une alternance dans la continuité. Son idée : une politique plus tournée vers frange la plus large de la population (plus de 50%) : la jeunesse. Vision qui a séduit et apaisé plus d’un, malgré les antécédents familiaux.

Après 13 ans à la magistrature suprême et 3 ans du mandat en cours dénommé « mandat social », chacun y va de son bilan. « Je suis plus que déçu. Malgré les violences qui ont précédé sa venue au pouvoir, je me disais que c’était pour la bonne cause » a affirmé un journaliste qui a préféré garder l’anonymat. Avant d’expliquer que les barons du régime « forcent les choses pour pouvoir redonner une bonne impression du parti auprès de la population. Malheureusement je suis resté sur ma soif. »

Les réformes sociales tant promises tardent toujours à voir le jour. Celles qui sont déjà en cours d’exécution sont mal menées, selon plusieurs observateurs, et les crises dans divers secteurs d’activités ne cessent de refaire surface.

Il suffit d’interroger les manifestants qui descendent dans les rues pour comprendre le mécontentement. Pour eux, le régime en place doit céder le fauteuil parce qu’il n’arrive pas à résoudre les problèmes sociaux : la santé, l’éducation, l’emploi des jeunes, la pauvreté etc, alors qu’une minorité proche ou du régime en place vit dans le luxe total.

 

Des revendications sociales de plus en plus récurrentes et toujours mal gérées

Les souvenirs des revendications sociales sont encore frais dans les mémoires, avec à leur solde le décès de deux adolescents tués à balles réelles lors des manifestations des élèves pour réclamer la reprise normale des cours.

Depuis 5 ans, les grèves se multiplient dans plusieurs secteurs d’activités. Dans le domaine éducatif, les problèmes des enseignants du primaire et du secondaire ne trouvent toujours pas de satisfaction si ce n’est des promesses non-tenues du gouvernement. S’y ajoutent des affectations ressenties comme « punitives » par les enseignants concernés. La grève de cette semaine a pris fin hier, mais elle est toujours reconductible selon le communiqué de la Coordination des Syndicats des Enseignants du Togo (CSET).

Même son de cloche auprès de leurs collègues du supérieur. A  l’heure où nous écrivons ces quelques lignes, ils terminent une grève de deux jours.

Dans le domaine sanitaire la tension est aussi vive. La plateforme revendicative du personnel soignant semble être une arrête dans la gorge du gouvernement. Et on n’en finit pas avec les sit-in et les grèves. Tout comme les enseignants du supérieur, ils terminent une grève de deux jours. Si rien n’est fait, le principal syndicat du personnel soignant (le Syndicat des Praticiens Hospitaliers du Togo  SYNPHOT)  menace d’accentuer leur mouvement de grève dans les jours qui viennent.

Sit-in du personnel soignant
Sit-in du personnel soignant au CHU Sylvanus Olympio le 03 janvier 2018

Les corps de service rentrent aussi dans la danse, eux qui, auparavant, n’observaient pas ce genre de mouvements. C’est le cas du personnel du ministère de la fonction publique qui manifeste son mécontentement et exige de meilleures conditions de travail depuis quelques mois déjà.

Les étudiants, de leur côté, ne baissent pas la garde. Depuis la semaine dernière, ils sont montés au créneau dans les deux universités publiques du pays. Ils réclament de meilleures conditions d’étude et, surtout, dénoncent la hausse « exagérée » des frais de scolarité.

Le tout sans oublier la menace de grève actuellement brandie par la Synergie des travailleurs du Togo, l’une des plus grandes centrales syndicales du pays pour ne pas dire la plus représentative. Les négociations sont en cours avec les ministères concernés et les jours prochains nous situerons.

La liste des revendications sociale est assez longue et je ne saurais en faire une liste exhaustive.

 

Chômage masqué, sous-emploi galopant

Après 13 ans de règne, le pouvoir de Faure n’a à son actif qu’un seul concours de recrutement général à la fonction publique. Le seul secteur qui recrute fréquemment au Togo n’est autre que l’armée. Et beaucoup y vont pour fuir le chômage et son lot de misère. Le mot « passion » ou « rêve » n’a vraiment plus de sens auprès de la jeunesse. Ce qu’il faut, c’est trouver de quoi manger. Le taux de chômage est en baisse depuis 2011 (de 6,5% en 2011 à 3,4% en 2015 d’après le Document Stratégique de Réduction de la pauvreté, DSRP).  « Le Togo ne peut pas avoir un taux de chômage de 4%. C’est totalement absurde qu’un pays en pleine récession depuis 4 ans, voit son taux de chômage en baisse », s’est indigné Thomas KOMOU, économiste et Président de l’association Veille Economique lors d’une conférence-débat en 2017 reporté par le site d’information icilome.com.

Comme l’Etat n’est pas en mesure de recruter, le secteur privé est débordé par les demandes d’emplois. Place au désordre et bienvenu au monde du sous-emploi. Malgré le SMIC du pays le plus bas de la sous-région (35.000F CFA), force est de constater que la majorité des entreprises privées payent moins que cela. Une véritable exploitation qui ne dit pas son nom et qui se nourrit du silence des autorités compétentes. Toute initiative de revendication dans ce domaine est souvent tuée dans l’œuf par des menaces de licenciement. Résultat, une bonne partie des diplômés s’est convertit en « Zémidjan-man » (conducteur taxi-moto).

La situation encourage malheureusement beaucoup de jeunes à abandonner leurs études. « À quoi bon poursuivre les études si c’est pour devenir un conducteur de taxi-moto ? » argue tout jeune sur le point d’abandonner ses études. Et les parents incapables d’assurer les études de leurs enfants par manque de moyens financiers de se consoler avec ce même refrain « même ceux qui sont allés à l’université sont maintenant en grande partie devenus des conducteurs de taxi-moto. Qu’il reste à la maison le temps de réunir le nécessaire en apprentissage ».

 

Des programmes et projets toujours pas convaincants pour résorber les problèmes de chômage, de pauvreté et de sous-emploi

Pour régler le problème de chômage et de pauvreté ambiante auprès des couches les plus vulnérables, le gouvernement ne cesse d’innover. L’ANPE, le programme national du volontariat (PROVONAT) devenu l’Agence Nationale du Volontariat du Togo (ANVT), le Fonds d’Appui aux Initiatives Economiques des jeunes (FAIEJ), le Fonds Nationale de la Finance Inclusive (FNFI) etc. sont des initiatives gouvernementales, mais toutes sont loin de satisfaire les attentes. D’aucuns parlent même d’illusion.

Quels sont les impacts concrets de ces projets/programmes sur leurs cibles? Que pensent les togolais de ces initiatives ? Je vais y revenir dans un autre billet.

 

En définitif, il est clair que les réformes institutionnelles et constitutionnelles scandées presque chaque semaine dans les rues de Lomé n’ont d’avantage immédiat que pour les politiciens. Seules des réformes sociales pour un mieux vivre seraient véritablement à l’avantage des populations aujourd’hui dans la rue. Pour répondre aux attentes profondes des populations, la voie pour le référendum qui semble aujourd’hui être balisée n’est malheureusement pas la meilleure solution. Ce n’est qu’une fuite en avant. Aussi, la gestion économique du pays avec des prêts tout azimut ne laisse pas non plus présager des lendemains meilleurs aux togolais. Quand on sait que le service de la dette (c’est à dire la somme affectée chaque année au remboursement de la dette et des intérêts) n’a pour conséquences directes que la réduction drastique des dépenses publiques, on risque plutôt de voir de nouvelles coupes sombres dans les budgets sociaux.

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Commentaires

Jean-William DZRAMEDO
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Mon frangin a tout dit

Mathieu
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Waoo, belle analyse. Félicitations frangin blogueur

Abdoul Nazirou SANI
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Merci!